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Entretien Aurélie d’Incau & Nika Schmitt

« Il y a chez nous deux de l’humour sous-jacent. »
© photo 1: Aurélie d’Incau par Gilles Kayser / photos 2 & 3: Nika Schmitt par Anouk Flesch

En 2018, Aurélie d’Incau a présenté aux Rotondes Zuch, l’installation qu’elle avait créée spécialement pour le cube. Nika Schmitt, elle, investira le même espace cet automne. On a réuni les deux artistes qui ont bien plus que notre cube en commun.

Aurélie, Nika, vous vous connaissez depuis longtemps, vous avez même étudié ensemble à Maastricht. Est-ce que vos pratiques diffèrent malgré tout beaucoup ?

Nika : Oui, probablement à tous les niveaux ! (rires) Aurélie met fort l’accent sur le jeu, aussi bien dans la création de ses œuvres que dans le résultat final.

Aurélie : L’interaction avec le public fait effectivement partie du processus pour moi. Je vais de plus en plus dans une direction où le jeu devient partie intégrante de la création. Chez Nika, on sera dans quelque chose de plus internalisé pour le/​la spectateur∙rice. Je ne dirais pas qu’on est dans une position passive, plutôt dans de l’observation active.

N. : Mais il y a chez nous deux de l’humour sous-jacent, pas forcément le même, mais bien présent même s’il ne saute pas aux yeux.

A. : Oui, on met toutes les deux un peu de sarcasme, une pointe d’acidité.

Est-ce que vous iriez jusqu’à parler d’une forme de critique ?

A. : À ce niveau-là, je crois qu’on est un peu pareilles parce que je ne pense pas qu’on veuille explicitement critiquer quelque chose. 

N. : (Elle hésite.) On ne fait pas d’activisme, c’est vrai. Mais pour le moment, par exemple, je réfléchis beaucoup aux énergies renouvelables, à la manière dont elles sont utilisées, parfois pour des choses complètement inutiles. Je garde un œil critique là-dessus.

A. : Je suis convaincue que le jeu permet d’attirer l’attention et de créer de l’empathie. En ce qui me concerne, j’essaie de préserver la poésie tout en prenant du recul. C’est de la critique optimiste !

Le cube, un espace
pour les gens curieux

Nika, est-ce que tu avais vu Zuch, dans le cube ?

N. : Oui ! Il y avait ce trou dans lequel on devait glisser son téléphone avec la caméra allumée. Le téléphone ressortait par un autre côté et c’est en regardant l’enregistrement qu’on découvrait ce qui se passait à l’intérieur. J’aimais bien ce côté inconnu. Aurélie avait créé tout un monde qui avait l’air presque animé sur la vidéo. Tout le monde repartait avec une œuvre d’art sur la pellicule de son téléphone, au milieu de photos et de vidéos personnelles pas très spectaculaires.

Aurélie, quel est le défi avec le cube ?

A. : Pour chaque nouveau projet, je pars du point de vue du visiteur et de la circulation du public dans l’espace. Le cube est un peu spécial parce qu’il a deux côtés qui fonctionnent de manière indépendante. Dans la Buvette, il y a cette grande vitre qui donne dans le cube. Ça fait comme un cadre et l’intérieur du cube devient une espèce de peinture. Mais en entrant dans la Rotonde 2, on peut très bien aller au bar, prendre une bière et ressortir sans jamais voir le cube ni l’œuvre. Personnellement, j’aimais bien l’idée que les gens allaient peut-être rater Zuch. L’installation ne se montrait qu’aux plus curieux∙euses, à celles et ceux qui remarquaient le cube et qui sortaient leur téléphone de leur poche.

(ci-dessous: vernissage de Zuch en 2018 © Mariana Dos Santos)

Nika, c’est un espace qui t’inspire ?

N. : Le défi pour moi, c’est que mon installation doit être pensée pour deux lieux très différents : le cube aux Rotondes, qui est petit et sombre, et une salle beaucoup plus grande à l’IKOB d’Eupen. L’installation que j’ai imaginée pour les deux espaces, Sweet Zenith, est donc similaire mais c’est le contexte qui va la faire réagir différemment.

J’envisage le cube comme un diorama, une boîte dans laquelle on peut observer un microcosme. Dans le système que j’ai créé, une source de lumière va s’activer en réaction au son et alimenter un panneau solaire. Le pendule lumineux va se balancer grâce à l’électricité produite et s’éloigner du panneau solaire et de l’enceinte qui produit le son, ce qui va stopper la production d’électricité. Le pendule va donc bouger de manière désordonnée jusqu’à son retour au centre qui va relancer le phénomène. Malgré la répétition, on n’est pas du tout dans quelque chose de méditatif, ce sera très chaotique.

Est-ce que les bruits ambiants ne risquent pas d’interférer avec le système ?

A. : Et s’il y a une fête et des stroboscopes ?

N. : Il faudrait une lumière d’une certaine longueur d’onde à un point très précis pour que cela ait une incidence. Quant aux bruits, c’est plutôt l’installation qui risque de perturber les gens que l’inverse, elle pourrait devenir très bruyante ! Je vais peut-être devoir diminuer le volume. En tout cas, l’idée de base est plutôt celle d’un univers à regarder depuis l’extérieur, le rôle de l’observateur∙rice sera très important.

(ci-dessous: Sweet Zenith © Nika Schmitt)

De l’importance du lieu

On parlait tout à l’heure de vos approches différentes. Est-ce que malgré tout, ce serait possible pour vous de créer quelque chose ensemble ?

N. : Une collaboration oblige à laisser tomber une bonne partie de sa vision personnelle mais je pense qu’on y arriverait. La question, c’est : à quoi est-ce que ça ressemblerait ? Ce serait comme faire un bébé ensemble !

A. : Je crois que ça ne ressemblerait à aucune de nos œuvres.

N. : Je pense aussi. Ce serait la seule possibilité : faire quelque chose complètement en dehors de nos esthétiques respectives. Peut-être que ce serait intéressant, peut-être que ce serait horrible ! (rires)

A. : Après tout, notre travail artistique ne se limite pas à nos installations.

N. : Exactement. Je fais de la musique, il y a tes costumes, ma ligne de vêtements… Je trouve aussi qu’avec l’expérience, de plus en plus de choses deviennent possibles. Je me sens plus ouverte à différentes techniques qu’il y a 3 ans. Avant, je pensais que le style et la manière de faire les choses se solidifiaient, devenaient plus clairs avec le temps. En réalité, même si on ressent une plus grande sécurité, on a toujours envie de tout changer en permanence, c’est ce qui continue de rendre les choses intéressantes. Je ne ressens pas le besoin de me défendre. Ça rend les collaborations plus simples.

A. : Plus on travaille, plus on renforce son « centre » en tant qu’artiste. Pendant nos études, il fallait défendre nos concepts, expliquer chaque détail, prouver des trucs. Cette manière de faire m’a filé une espèce de gueule de bois… Quatre, cinq ans ont passé et aujourd’hui, les choses sont plus naturelles. C’est beaucoup plus facile pour moi de dire simplement : « Voilà comment je travaille, voilà ce que je fais et pourquoi. »

Est-ce que le lieu jouerait un rôle important dans cette collaboration ?

A. : Absolument, comme c’est déjà le cas pour nos œuvres personnelles. Et puis, c’est toujours plus difficile de créer à partir du vide. Avoir un espace, un terrain de jeu balisé est un bon point de départ.

N. : Si quelqu’un a une proposition à faire pour nous réunir, qu’il nous le dise ! (rires)