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LEAP22 Lynn Klemmer

« Je veille à ne pas faire du monde digital et du monde réel des univers séparés. »
© What Fires Together Wires Together (photo: Mathieu Buchler)

Quatre artistes sont en lice pour remporter le prix d’art contemporain LEAP – The Luxembourg Encouragement for Artists Prize organisé par les Rotondes et présenté par RTL. Parmi elles/​eux, Lynn Klemmer dont la pratique est profondément ancrée dans le champ des études critiques des médias.

Lynn, ta pratique interroge les environnements numériques et la place de l’humain. Ce sera donc un élément central de ce que tu vas faire voir lors de l’exposition collective?

Pendant ma résidence au Casino Display, j’ai enfin eu le plaisir de faire des sculptures plus grandes et de travailler avec l’espace, pas juste à l’ordinateur. Je n’avais jamais eu un studio à moi, j’ai vécu dans des appartements plutôt petits où je dormais, vivais et travaillais dans une pièce. Cette résidence m’a ouverte à une nouvelle approche de la production de l’art, m’a fait changer ma pratique et l’exposition LEAP constitue une opportunité de continuer cette exploration. 

Je vais montrer What Fires Together Wires Together, un film thématisant la plasticité du cerveau, l’électricité et la tension émanant du fictif que j’ai fini l’année dernière. À côté de ça, il y aura aussi de nouvelles sculptures. L’idée est de revisiter le film pour toucher à encore d’autres questions avec lesquelles je le mets en relation, notamment celle de l’électricité et de l’énergie comme force matérielle, invisible, technologique et socio-politique. Pour moi, le LEAP constitue donc l’opportunité de trouver de nouvelles approches. Montrer quelque chose que personne n’a encore vu constitue un risque, mais je suis sur un chemin, je ne peux pas freiner maintenant. Pour moi, il est plus important de faire évoluer mon approche que de trop me concentrer sur un jury, surtout en tant que jeune artiste.

Tu es en train de changer de médium de prédilection? Tu glisses du digital et du film à des matériaux plus physiques?

Il y a une certaine ironie quand on étudie les questions liées au digital, aux technologies, aux ordinateurs, aux algorithmes : on critique les choses avec lesquelles on travaille. C’est pourquoi je travaille aussi souvent avec d’autres matériaux, notamment le tissu. La manière dont il est fait, le tissage, crée une sorte de grille qu’on retrouve dans le digital. On trouve des similarités et j’en suis à un point où il devient plus intéressant d’explorer le monde tangible pour penser le digital. 

En même temps, je fais attention à ne pas faire une distinction stricte monde digital / monde réel, à ne pas en faire des univers séparés. Quand on pense aux technologies et au monde virtuel, on pense aussi à comment on perçoit le monde réel.

Je pense aussi beaucoup au dualisme nature / technologie. Quand j’ai commencé à faire de l’art conceptuel, je les envisageais comme des catégories qui se rejettent. Mais nous avons créé les technologies, elles partent de nous et nous faisons partie de la nature. On trouve à l’intérieur des ordinateurs ce qu’on appelle des cartes-mères. Elles sont toujours vertes, leur nom rappelle Mère Nature… Cette association me fascine. (ci-dessous: What Fires Together Wires Together, photos © Mathieu Buchler)

Outre les médias que tu utilises, quelle évolution as-tu déjà constaté dans ta pratique?

Pour Fortune Cookie et Head in the Clouds, qui parlaient des cookies sur internet et de la matérialité du monde digital, j’avais une approche plus éducative, je voulais faire comprendre quelque chose en expliquant. À présent, je crée des connexions et des tensions. Je dis les choses dans mon propre langage parce que j’ai compris que plutôt de traduire mes idées, il faut que je les exprime d’une manière plus directe et viscérale. Je construis des atmosphères que le visiteur comprendra en les ressentant. On ne sait jamais ce que le public pensera devant une œuvre mais l’atmosphère, la sensation, c’est le plus important.

Est-ce que tu vois le LEAP comme une étape dans ta carrière?

Un grand pas dans ma carrière, ça a été de commencer à me présenter en tant qu’artiste. Je me suis dit: « Tu n’es plus étudiante, tu as fait des expositions, tu as eu une résidence, tu peux dire que tu es une artiste! » Mais je me disais que je n’étais pas assez établie, trop jeune… Commencer à l’affirmer a vraiment été un changement. 

Être artiste, c’est passer 50% de son temps à faire des recherches pour trouver des lieux d’exposition. L’autre 50%, c’est faire le travail. Mais ça, je ne l’ai réalisé qu’après ! C’est une des raisons qui m’a poussée à poser ma candidature: toujours chercher et planifier le futur, ça fait partie du métier.